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Comme vous le savez,qu'on le désire ou qu'on l'abhorre,  le vote électronique est devenu un sujet d'actualité pour tous les cantons :
    -    selon le Conseil Fédéral, mi-2009 les conditions de base ouvrant le vote des Suisses de l'étranger devront avoir été remplies par les cantons,
    -    le Conseil des Suisses de l'étranger à voté à la fin août trois résolutions demandant l'introduction au plus tôt du vote électronique,
    -    les divers cantons ont nommé des chefs de projet "vote électronique" et mettent sur pied les commissions de pilotages, etc.
Il est donc important d'agir politiquement maintenant, avant que les administrations publiques aient commencer à poser les rails, éventuellement dans une direction qui serait (comme à Genève) discutable.

Voici donc quelques indications et commentaires concernant le débat sur le vote électronique qui a eu lieu au Grand Conseil genevois ce jeudi dernier (28 août).

L'article concernant le vote électronique et qui a été adopté (après un débat animé, mais sans amendement) par le Grand Conseil est le suivant  :

La constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847, est modifiée comme suit :
Article 48, al. 2 et 4 (nouvelle teneur, les anciens alinéas 2 et 4 devenant 3 et 6), al. 5 (nouveau)
2. L’électeur peut voter dans un local de vote, par correspondance ou, dans la mesure prévue par la loi, par la voie électroniqueª.
4. Les opérations électorales sont contrôlées par une commission électorale centrale nommée par le Conseil d’Etat.
5. La Chancellerie d'Etat est chargée de consolider les résultats des votations et, en outre, pour les élections, de procéder à un dépouillement centralisé.
Dans l'esprit des initiants, il faut comprendre : "le « vote électronique à distance ». En d’autres termes, le vote par internet".

Tant en commission, puis dans la presse et enfin en plénum, le débat totalement sorti de l'ancien clivage gauche-droite, et les partis ont été très divisés : la loi constitutionnelle a été acceptée par 39 oui avec surtout le PS, le PDC, le MCG (mouvement citoyens genevois -d'orientation populiste), et des voix éparses, il a été refusé par 28 non des Verts, de quelques radicaux et libéraux, de l'UDC, et 9 abstentions. Les groupes PS, Lib et PRD, notamment, n'avaient pas donné de mot d'ordre, s'étant révélés par trop désunis sur la question.
A l'arrivée, le choix s'est très largement imposé de laisser le peuple se prononcer sur le principe (63 pour, 2 abstentions). [Le Courrier, 29 août 2008]

La commission des droits politiques a elle-même été très divisée, avec un rapport de très courte majorité pour les deux projets de loi (d'application et constitutionnelle), et un de large minorité contre les deux. Elle a siégé longuement, en 15 séances de décembre 2006 à mai 2007, ensuite -et bien que la chancellerie d'état ait demandé à plusieurs reprises l"urgence"- le débat sur le projet de loi a été repoussé jusqu'à la session d'été 2008 du Grand Conseil. Le projet constitutionnel a donc passé, mais la loi sur le vote électronique a été renvoyée (c'était pourtant le but premier, la loi constitutionnelle est fille des travaux de la commission -mars 2007).

Comme la loi adoptée est un changement constitutionnel, il est soumis au référendum obligatoire et le peuple sera appelé à voter.

L'alinéa 5 ne fait qu'entériner une situation de fait, la loi n'ayant pas été précédemment adaptée aux changements.

L'alinéa 4 est en fait imposé par la loi fédérale, dans le cas des votations à l'échelon fédéral opérant par un moyen électronique (vote électronique ou par Internet); il s'agit donc d'une conséquence de l'alinéa 2; cette commission électorale sera permanente (et pourra engager des "experts") et remplacera les "scrutateurs de partis" qui sont actuellement des délégués des partis représentés au Grand Conseil et qui sont chargés de surveiller le bon déroulement des opérations électorales.

L'alinéa 2 est donc la grande innovation, avec sa finale "ou, dans la mesure prévue par la loi, par la voie électronique".
On reste là, évidemment, dans le pur principe.

Normalement, il était prévu que le Grand Conseil adopte une seconde loi (dites d'application) qui serait venue compléter celles sur "l'exercice des droits politiques", le projet de loi a été renvoyé en commission.
Le rapport de commission (sur les deux projets de loi) est consultable sur le site du GC-Ge, j'avais préparé des commentaires pour inciter le GC à ne pas accepter le texte proposé de la loi d'application.
Une majorité de 41 députés (socialistes, radicaux, Mouvement citoyens et démocrates-chrétiens, et des voix éparses) contre 17 (UDC et libéraux, principalement) – et 9 abstentions (libéraux et verts) – ont décidé de renvoyer la loi de concrétisation en commission. [Le Courrier, 29 août 2008] 

Plusieurs points de la loi (d'application) étaient très inquiétants, p.ex.le manque de neutralité technologique*, ou la charge de la responsabilité mise sur le citoyen en cas de piratage.
   (*) Les opérations préconisées étaient fortement liées à l'architecture et aux procédures du système pilote actuel, notoirement insuffisant; les députés en ont largement fait écho lors du débat, même les plus vifs adeptes du principe de vote électronique.

Mais, il avait un autre point très grave : c'est l'interdiction de consulter librement le programme source du logiciel de vote électronique et en particulier jamais au format électronique, empêchant de faire alors des analyses automatiques. Il en est de même (et il en a été de même) pour la documentation du système employé :
8 Le code source des applications permettant de faire fonctionner le vote électronique, de même que les documents liés à la sécurisation du système, à l'exception des résultats de l'audit prévu à l'alinéa 6, ne peuvent être communiqués à des tiers en application de la loi sur l'information du public et l'accès aux documents, du 5 octobre 2001.
9 Les membres de la commission électorale centrale y ont toutefois accès en tout temps.
10 Le code source peut en outre être éprouvé, sans toutefois être reproduit, par tout électeur qui justifie d'un intérêt scientifique et purement idéal et qui s'engage à en respecter la confidentialité. Le Conseil d'Etat fixe les conditions et modalités de ce test.
[Extrait du projet de loi renvoyé en commission]
Cette position, escamotant un droit fondamental du citoyen d'une société démocratique, est pourtant confirmée par la chancellerie fédérale :
La documentation technique relative à un système de vote électronique ainsi que les avis concernant la sécurité constituent des documents cantonaux confidentiels. Ces documents ne sont pas publics. Les cantons qui appliquent déjà le principe de la transparence peuvent subordonner la consultation de ces documents ou du code des programmes à des conditions ou carrément la refuser dans la mesure où il renferment des informations de sécurité qui sont sensibles ou des secrets d'entreprise.
[Tomas Helbling, vice-chancelier de la Confédération, courrier à O.M. 20/08/2008]

Pourtant, le tribunal administratif genevois a reconnu :
Compte tenu de l'intérêt du citoyen de s'assurer lui-même de la fiabilité du système de vote, les restrictions de divulgation posées à l'accès au code source apparaiss[ent] contraires au principe de la proportionnalité.
[La diffusion et la copie du code source étant excepté. Arrêt 29/11/2005]
À l'encontre de cette position que l'on pourrait appeler par dérision "obscurantiste" (car dites de "sécurité par l'obscurité"), le rapport de minorité relève :
"[le programme source] Il s’agit grosso modo d’un ensemble d’instructions décrivant le fonctionnement d’un programme informatique. Son ouverture – ou sa publicité – permet à des informaticiens de haut niveau de s’y pencher afin de découvrir d’éventuelles failles et de vérifier que le programme effectue bien les actions qu’il est censé effectuer. La connaissance du code source ne permet pas pour autant de pénétrer le système. Un des informaticiens que nous avons auditionnés a utilisé la métaphore du plan du système de sécurité d’un musée. Un cambrioleur professionnel pourra, en étudiant un tel plan, repérer les faiblesses ou les incohérences du système, mais ne pourra pas pour autant s’introduire dans le musée, car il ne connaîtra pas les mots de passe ou ne possèdera pas les clefs permettant de passer les divers obstacles décrits sur le plan. Ainsi, il est généralement admis dans la communauté informatique, que le fait d’ouvrir le code source d’un programme permet de l’améliorer, puisqu'un nombre plus important d’informaticiens pourront s’y pencher."
Mais la commission n'avait pas osé aller jusqu'au bout, même la minorité, en inscrivant l'exigence d'une complète publication du programme source et des documentations du système.

La sélection de "cœurs purs" (al.10 du projet) limiterait le choix à des personnes agréées par le gouvernement (et donc écarterait les contradicteurs1), l'interdiction de copie ne permettrait pas l'aide d'un tiers ou l'emploi d'outils d'investigation spécialisés, et l'engagement de confidentialité empêcherait de rendre public ses constatations. Or l'expérience montre qu'étudier valablement un logiciel grand et complexe demande une forte abnégation (ou être très bien rétribué), et que la probabilité d'y découvrir une erreur ou faille ne devient tangible qu'avec la disponibilité de moyens techniques et surtout la présence de nombreux cerveaux, et l'émulation intellectuelle obtenue par le débat en forum.

Inversement, la publication du logiciel sous une licence "Open Source" de type OSI (donnant la liberté d'expérimenter), et par le fait de l'intérêt fondamental du sujet, aboutirait au contraire à bénéficier de l'analyse et l'amélioration par les milieux académiques et spécialisés (souvent aussi passionnés).


Or, il se fait que le droit suisse ne connaît pas la transparence du vote, contrairement aux autres principes qui sont légalement requis.
L'administration fédérale relève qu'il s'agit là que d'un usage établi, reconnu généralement dans la doctrine et parfois dans la jurisprudence.

Il serait donc bien -pour éviter globalement et définitivement une telle dérive du secret- d'inscrire dans la loi sur les droits politiques, voire les constitutions cantonales, ou mieux encore dans la constitution fédérale :
l'obligation de publicité et de transparence (observabilité générale) des procédures et moyens essentiels mis en oeuvre lors d'un vote populaire,

ceci afin de permettre la surveillance démocratique par potentiellement* l'ensemble du peuple; comme l'usage (et la doctrine) l'ont établis pour le vote au local.
   (*) non pas que chacun soit en mesure de lire et comprendre logiciels ou autres outils, mais que chacun puisse librement investir sa confiance dans -ou même désigner- l'expert qu'il veut pour l'écouter ou le faire.

NB: Par ailleurs, on peut montrer que "la sécurité par l'obscurité" n'a généralement aucune valeur en ingénierie, et surtout dans ce domaine.


1 Le porte-parole de la chancellerie d'état de la République et Canton de Genève traite sur son blog  les contradicteurs du projet officiel de vote électronique "d'illuminés", d"originaux" sans bases solides, de "Dr Diafoirus"* ne sachant pas poser les bonnes question, de "péroreurs" et même d"idiots" regardant le doigt montrant la lune !
  (*) Médecin charlatant et pédant, Le Malade Imaginaire, Molière, 1673